[bg] Ael

[Ael]

La jeune Sadida bondissait de rocher en rocher, remontant le fil de la rivière à vive allure… Tandis que ses parents pêchaient sur le rivage, elle s’était amusée à jeter des cailloux dans l’eau en les faisant ricocher comme à son habitude. Son regard malicieux et curieux avait soudain été attiré par un petit poisson blanc aux reflets bleutés. Intriguée, elle s’était lancée à sa poursuite, oubliant de prévenir ses parents. Les yeux fixés sur le petit reflet bleu, elle s’était éloignée bien plus qu’elle ne l’aurait imaginé. Derrière elle, le coin de pêche de ses parents était bien loin maintenant…
Soudain elle stoppa net sa course, tapie derrière un rocher, les muscles tendus. A quelques mètres devant elle, se tenait une créature massive, à la fourrure crasseuse et aux crocs acérés. Un Mulou…
Elle pesta contre elle-même. Obsédée par sa poursuite, elle avait négligé les règles élémentaires de prudence que se devait de respecter tout bon Sadida. Même avec toute son habileté et sa maîtrise, elle n’avait aucune chance contre cet adversaire redoutable. Heureusement, il ne semblait pas l’avoir repéré. En fait, il s’intéressait à une toute autre proie… une proie facile…
Un tout jeune Osamodas était endormi au bord de la rivière. Il portait pour tout vêtement un petit pendentif en argent. Le Mulou se léchait déjà les babines à l’idée de croquer dans cette chair tendre et parfumée.
La jeune Sadida se prit la tête dans les mains en se parlant à elle-même..

Ne t’occupe pas de cet Osa. Tout ça ne te regarde pas. Reste cachée.

Elle leva les yeux au ciel…
Et elle bondit devant le terrible Mulou…
Le monstre se jeta sur elle, bien décidé à se débarrasser de cette gêneuse qui se mettait entre lui et son déjeuner. Fléa jouait sur sa rapidité pour tenter d’échapper aux griffes du Mulou mais par deux fois, elle les sentit frôler son visage. Le combat était inégal, d’autant que la Sadida s’efforçait de protéger le petit Osa en captant l’attention du Mulou. Acculée, elle se retrouva finalement coincée entre le Mulou et sa proie et sentit sa dernière heure arriver. L’animal, ivre de colère, leva la patte pour l’abattre de toutes ses forces sur la courageuse Sadida…
Mais il ne put terminer son geste. Il se retrouva emprisonné dans une ronce géante.

Fléa ! Vite !

Obéissant à la voix de son père, Fléa prit le petit Osa sous son bras et bondit vers lui. Elle savait que la ronce apaisante ne calmerait pas longtemps la colère du Mulou…
Après quelques longues enjambées, ils obliquèrent vers la sombre forêt pour se mettre à couvert. Ils étaient hors de danger.

Ce n’est que bien plus tard que les deux Sadidas rejoignirent leur village. Fléa déposa le petit Osa sur une couche de paille. Il était réveillé depuis bien longtemps mais restait silencieux. Il semblait complètement perdu. A force de patience et de questions, Fléa finit par découvrir qu’il ne se souvenait de rien, pas même de son nom. Les Sadidas lui donnèrent à manger et à boire et préparèrent un petit lit douillet. Et Dieu sait que les Sadidas sont doués pour ça…
Fléa trouvait que le rouge lui allait très bien. Elle passa beaucoup de temps à coudre un petit vêtement avec ses grandes mains et le résultat fut plutôt réussi. En tout cas, l’Osa semblait ravi. Les Sadidas décidèrent de le garder auprès d’eux jusqu’à qu’il ait repris des forces.

Le temps passait et le petit Osa n’avait toujours pas de nom. Et Fléa voyait bien qu’il en souffrait. Elle s’était attachée à son protégé. Ils passaient de longues soirées à rire, s’amuser, et à parler aussi. Cent fois, il lui demanda de raconter comment elle l’avait rencontré, comment elle l’avait sauvé.
Elle lui apprit à aimer la nature et à la respecter. Elle lui apprit aussi à maîtriser l'art de l'invocation. Elle le trouvait plutôt doué, même si ses poupées étaient étranges: elles naissaient avec des plumes ou de la laine et des cornes...

Les Sadidas finirent par donner un nom au petit Osa : Ael Eressea. Il crut comprendre que cela signifiait : « fils de la rivière » dans un ancien dialecte.

Mais Ael ne réussissait pas à s'habituer à la vie dans la forêt. Il était incapable de dormir pendant des jours comme le faisaient les Sadidas. Même s’il était triste de les quitter, le temps était venu pour lui de dire au revoir à ses amis.
Ils ne cherchèrent pas à le retenir. Ils savaient que son destin n’était pas de rester avec eux.
Ael n’était pas doué pour les adieux. La gorge serrée, il embrassa les Sadidas et se tourna une dernière fois vers sa jeune amie.

Merci Fléa. Merci pour tout… Je ne t’oublierai pas.

Les larmes aux yeux, mais le regard plein de fierté, elle le regarda s’éloigner.

Bon voyage Ael !

Ael savait qu’il avait encore tout à apprendre. Le monde de Li Crounch serait sans pitié pour lui. Mais il était décidé à se battre, armé de courage et aidé de ses invocations.

Ce matin là, lorsqu'il sortit de la forêt, le soleil lui brûla les yeux. Il eut une pensée pour Fléa, avant de saisir fermement le manche de son fouet et de prendre le chemin qui serpentait vers le village d'Amakna.